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Design

Appréhender les enjeux de l’accessibilité numérique au sein des équipes de conception

À l’occasion des nouvelles recommandations WCAG 2.2 (encore à l’état de draft) présentées par la WC3, on revient sur la nécessité d’intégrer l’accessibilité dans sa démarche de conception et de réflexion en incluant toutes les parties prenantes dès le début des projets.
Léonore MAGUET
21/12/2023 - 14 minutes

À l’occasion des nouvelles recommandations WCAG 2.2 (encore à l’état de draft) présentées par la WC3, on revient sur la nécessité d’intégrer l’accessibilité dans sa démarche de conception et de réflexion en incluant toutes les parties prenantes dès le début des projets.

Qu’est-ce que l’accessibilité numérique ?

Tout d’abord, il convient de revenir sur certains éléments de contexte.

L’accessibilité numérique a pour objectif de rendre les outils numériques librement accessibles et perceptibles par les personnes en situation de handicap et plus généralement par tous les utilisateurs, quel que soit leur environnement (support numérique, localisation géographique, langue, culture, infrastructure réseau, etc.).

Nous pouvons distinguer plusieurs formes de handicaps :

  • Les handicaps visuels : il s’agit des personnes aveugles (ou non-voyants) et personnes malvoyantes. Ces handicaps imposent de proposer certaines solutions comme l’aide vocale, l’amélioration des contrastes ou encore la taille de la police de caractère.
  • Les handicaps auditifs : il s’agit des personnes atteintes de surdité et personnes malentendantes. Par exemple, lors de la lecture d’un contenu vidéo, il convient de proposer des sous-titrages.
  • Les handicaps moteurs : certains handicaps moteurs ne permettent pas d’utiliser un clavier ou même une souris. La navigation doit être facilitée en proposant des parcours moins complexes.
  • Les handicaps mentaux et cognitifs :ces personnes peuvent être atteintes de troubles de la mémoire ou de la concentration. L’objectif est de proposer des parcours utilisateurs là aussi moins complexes et de permettre aux utilisateurs de réaliser des actions de manière autonome (saisie de formulaire par exemple).
  • Les troubles de santé invalidants.
  • Les handicaps temporaires : chaque individu, au cours de sa vie peut se retrouver handicapé, qu’il puisse s’agir d’un bras cassé ou de lunettes égarées.
  • Les personnes âgées : avec une population de plus en plus vieillissante, il devient important de lutter contre l’isolement des seniors.

Au travers de ces différents profils de handicaps, on comprend que l’accessibilité numérique n’est pas un sujet anecdotique, mais qu’il touche un large panel d’utilisateurs. Il s’agit bien de permettre à chaque utilisateur de rester autonome et de pallier leur possible exclusion sociale que cela peut générer.

1. Les recommandations du W3C

L’organisme W3C (World Wide Web Consortium) a lancé le Web Accessibility Initiative (WAI) en 1997. Cette initiative a vu naître une série de directives et de recommandations permettant de concevoir des outils numériques plus accessibles qui correspondent, depuis le 5 juin 2018, aux WCAG 2.1 (Web Content Accessibility Guidelines).

Une version des WCAG 2.2, qui actuellement sont à l’état de « working draft » succédera à la version précédente en 2021. Il est d’ores et déjà possible de parcourir les nouveaux critères de conformités. Parmi eux on retrouve l’authentification dont l’objectif est de faciliter tout le processus de connexion pour les personnes ayant des difficultés cognitives liées à la mémoire, ou encore les mouvements de glissement (dragging) qui a pour but d’offrir une nouvelle alternative au drag and drop en effectuant cette action par un simple clic (sans prendre en compte une trajectoire précise), notamment pour les utilisateurs atteints de handicaps moteurs et qui ne peuvent pas réaliser d’action ayant cette exigence de finesse de précision.

Les WCAG ont défini trois niveaux de conformité. Ainsile niveau A correspond au niveau d’accessibilité minimale, le niveau double A (AA) au niveau d’accessibilité améliorée et le niveau triple A (AAA) au niveau d’accessibilité optimisée, adapté à certains contextes particuliers.

2. Le RGAA

En France, la DINUM (Direction Interministérielle du Numérique) a mis en place le RGAA (Référentiel Général d’Amélioration de l’Accessibilité) qui découle de l’obligation d’accessibilité des outils numériques. La version actuellement en vigueur est la version 4.1 qui a été mise à jour en février 2021 et qui s’appuie sur les recommandations du WAI.

Concernant les critères d’accessibilité, le RGAA impose de respecter au minimum le niveau double A (AA).

L’objectif des recommandations d’accessibilité est de rendre les outils numériques :

  • Perceptibles : proposer un contenu visible ou audible de manière équivalente en termes de contenu et de structure d’information
  • Utilisables : faciliter la navigation au clavier, permettre de laisser du temps à l’utilisateur pour consulter les éléments textuels et ne pas concevoir d’outils susceptibles de créer des crises d’épilepsie
  • Compréhensibles : créer des parcours utilisateurs cohérents et homogènes tout en laissant la possibilité de corriger ses actions et de permettre de bien identifier les actions potentiellement irréversibles
  • Robustes : les rendre compatibles aux utilisations actuelles et futuresLe portail numerique.gouv.fr met à disposition de la documentation comprenant un kit d’audit, une méthodologie de test ainsi que le RGAA au format .pdf.

L’accessibilité numérique, un véritable enjeu social

Lorsqu’on aborde le sujet de l’accessibilité numérique, il est intéressant de le mettre en corrélation avec l’inclusive design et le care design.

En 2005, le British Standards Institute définit l’inclusive design comme étant :

‘ The design of mainstream products and/or services that are accessible to, and usable by, as many people as reasonably possible without the need for special adaptation or specialised design.’

‘La conception de produits et/ou services grand public qui sont accessibles et utilisables par autant de personnes que possible sans nécessiter d’adaptation spéciale ou de conception spécialisée.’

L’accessibilité numérique qualifie un produit/service alors que l’inclusive design se réfère plutôt à une méthodologie. L’accessibilité numérique est donc un attribut constitutif de l’inclusive design, qui lui considère les déficiences comme une opportunité de mieux concevoir et qui participe à l’amélioration des solutions numériques.

Le care design quant à lui, s’intéresse au bien-être social et environnemental des utilisateurs les plus vulnérables. Il s’applique à appréhender les individus et leur environnement avec une vision bienveillante et de prendre soin.

Les propos de Cynthia Fleury, philosophe et psychanalyste française, illustrent bien les enjeux d’inclusion par la conception.

« Il faut se soucier de rendre “capacitaires” les individus, c’est-à-dire de leur redonner aptitude et souveraineté dans ce qu’ils sont ; comprendre que la vulnérabilité est liée à l’autonomie, qu’elle la densifie, qu’elle la rend viable, humaine ; travailler à faire que cette vulnérabilité soit pour autant la moins irréversible possible. »

Cynthia Fleury. Le soin est un humanisme, 2019.

Cynthia Fleury décrit bien ce souci de redonner ses capacités à tous les individus, sans distinction pour permettre un retour à l’autonomie.

L’accessibilité numérique est un paramètre non négligeable permettant de converger vers une conception plus responsable et c’est en cela qu’elle devient un véritable enjeu sociétal.

Tim Berners-Lee, le créateur du World Wide Web Consortium (W3C), a bien compris cela et souligne le fait que le web est plus une invention sociale que technologique. Le web doit alors devenir un lieu d’échange et de construction, une sorte de tissu social où chaque individu à sa place.

‘The Web is more a social creation than a technical one. I designed it for a social effect – to help people work together – and not as a technical toy. The ultimate goal of the Web is to support and improve our weblike existence in the world. We clump into families, associations, and companies. We develop trust across the miles and distrust around the corner. What we believe, endorse, agree with, and depend on is representable and, increasingly, represented on the Web. We all have to ensure that the society we build with the Web is of the sort we intend.’

Tim Berners-Lee, Mark Fischetti. Weaving the Web: The original design and ultimate destiny of the World Wide Web by its inventor, 1999.

En plus d’être un enjeu sociétal, l’accessibilité numérique devient un enjeu stratégique majeur pour les entreprises et permet de faire évoluer leur rapport à leurs utilisateurs, mais aussi leur manière de se développer et de mieux se démarquer.

On peut identifier trois enjeux majeurs :

• La confiance

Proposer des outils plus inclusifs aux utilisateurs permet de garantir une meilleure adhésion et une meilleure visibilité de l’entreprise.

• La formation

Proposer des formations approfondies sur les enjeux de l’accessibilité est nécessaire pour tous les concepteurs : designers, chefs de projet, rédacteurs, etc. Il existe aujourd’hui divers outils et diverses ressources permettant d’appréhender l’accessibilité numérique.

• L’innovation

Les assistants vocaux ou encore la synthèse vocale intégrée par Google ou encore Apple sont directement issus de réflexions liées aux contraintes d’accessibilité.

Cette nouvelle manière de concevoir et d’appréhender ce sujet peut alors se muer en opportunité. En plus de modifier le rapport entre l’utilisateur et les outils numériques, parler d’accessibilité et des notions s’y référant modifie le rapport qu’a le concepteur à son métier.

Accompagner tous les acteurs du projet

Lors de la constitution d’une équipe projet pour la réalisation d’un outil ou d’un service, il peut être pertinent d’intégrer un référent accessibilité numérique et si les ressources ne le permettent pas, de nommer un acteur référent ayant une forte appétence sur le sujet (product owner ou encore UX designer).

Le rôle du référent est de modéliser la stratégie d’accessibilité du projet, de piloter et d’animer la politique d’accessibilité, d’acculturer les divers acteurs du projet, de proposer des outils et des ressources aux différents experts métiers et de s’assurer que les critères d’accessibilité sont bien respectés.

1. La recherche et les tests utilisateur

En premier lieu, lors de la phase de cadrage du projet, il est primordial de construire une proposition de valeur en adéquation avec les besoins et les contraintes des utilisateurs. Ici, notre objectif n’est pas de décrire la phase de recherche ou de définition du besoin ou les outils s’y référant, mais de comprendre que ceux-ci sont voués à être adaptés en fonction des typologies de handicap que l’on va intégrer dans notre panel d’utilisateurs.

Il faut alors identifier nos différents profils d’utilisateurs tout en incluant des utilisateurs ayant diverses typologies de handicap. La modélisation de personas décrivant les capacités, les aptitudes, les contraintes dues au handicap (visuel, moteur, mental, etc.) permettra de réfléchir aux solutions à mettre en place pour concevoir un produit accessible et utilisable par tous.

Le Good Design Playbook, un guide des bonnes pratiques crée par le groupe SEB et en partenariat avec APF France handicap, propose plusieurs outils et une méthode de conception de produits/services accessibles s’inscrivant dans une démarche de design inclusif. On retrouve diverses ressources, fiches pratiques, outils et conseils sur la manière de concevoir un produit. On peut citer la roue d’accessibilité qui détaille les critères d’accessibilité selon les handicaps, la fiche de conseil permettant d’animer des ateliers accessibles à tous ou encore des outils d’évaluation des scénarios d’usage adaptés.

Lors de la conception d’un produit ou d’un service, la hiérarchisation de l’information va directement influencer les parcours utilisateurs. La modélisation de ces parcours va donc être déterminante dans l’appréhension du produit numérique par l’utilisateur atteint de handicap. Au-delà de la conception des interfaces, que l’on verra plus loin, l’expérience utilisateur dépend donc directement des scénarios d’usage que l’on aura défini. Chaque action réalisée par l’utilisateur est dépendante d’un contexte et d’un environnement général et ne sont pas décorrélées les unes des autres. Il est donc nécessaire d’avoir une vision globale du handicap, de ses contraintes, de ses particularités et de son évolution avant de pouvoir créer ses parcours (par exemple un processus de paiement en ligne ou de saisie d’un formulaire pensé pour les personnes atteintes de troubles de l’attention ne sera pas construit de la même manière).

2. La conception des interfaces

Après avoir souligné l’importance de l’appréhension de l’accessibilité dès la phase de recherche et de conception de l’expérience utilisateur (UX design), il s’agira d’implémenter ces réflexions dans la phase de conception de l’interface (UI design).

Concrètement le designer dispose de plusieurs outils permettant de mettre en place les bonnes pratiques lui permettant d’optimiser ses interfaces en fonction des critères d’accessibilité relevant de son domaine d’expertise.

•   L’informationImage8

– Proposer une structure de page cohérente et utilisation cohérente des titres et sous-titres de page

– Fournir des titres de pages compréhensibles et explicites

Nous pouvons ici parler de l’importance de l’UX writting qui permet d’offrir un contenu pertinent et adapté aux besoins de tous les utilisateurs. Le choix des mots est indispensable, notamment lorsqu’il s’agit de messages d’erreurs ou encore des boutons d’action.

•   La navigation

– Proposer une alternative de navigation par le clavier, avec l’aide focus qui permet à l’utilisateur de se situer sur la page

– La navigation par le clavier ne doit pas contenir de piège avec un ordre de tabulation pertinent

– Proposer une page « Plan du site » pertinente et permettant à l’utilisateur de naviguer facilement

– Le menu, la barre de recherche et la barre de navigation doivent se situer au même endroit sur toutes les pagesImage7

•   Images, couleurs et contrastes

– Les images délivrant une information doivent avoir une alternative textuelle, et si besoin être explicitement compréhensibles,

– La couleur ne doit pas être le seul élément délivrant l’information, mais doit être enrichie par un élément graphique (pictogramme, texte, texture, etc.).Image6

– Le contraste entre une image et un élément textuel doit être suffisamment élevé pour le rendre lisible,

– Le contraste entre les différentes couleurs doit être assez élevé.

Divers outils existent sur le marché afin de pouvoir contrôler le niveau de contraste entre les couleurs et divers éléments. Nous pouvons citer Stark, un plug-in utilisable sur Adobe XD, Sketch, Figma ou même Chrome. Il permet également de simuler les différentes formes de daltonisme et propose de nouvelles teintes si celles-ci ne répondent pas aux normes.Image5gif ffdt

•   Typographie

La typographie utilisée est également un paramètre à prendre en compte dans la réalisation des interfaces, puisqu’elle est un des vecteurs principaux d’information.

Concernant la taille de police caractère, il n’existe aucun critère obligatoire, mais l’utilisateur doit pouvoir augmenter la taille du texte de 200 % sans qu’il n’y une perte de contenu. Il est tout de même important d’utiliser une taille d’écriture confortable avec un interlignage adapté.

Nous pourrons alors citer la police de caractère Accessible DfA (Design for All), créée par Denis Chêne, Ergonome et responsable de projet accessibilité chez Orange, qui a pour objectif de pallier les difficultés de lecture des dyslexiques et qui améliore la lisibilité des caractères tout en les rendant difficiles à confondre.

La police d’écriture Luciole a été créée spécialement pour les personnes malvoyantes en collaboration avec le Centre Technique Régional pour la Déficience Visuelle et le studio typographies.fr.Image3gif sncf

3. Le développement

Bien qu’étant designer UX et que le développement ne soit pas mon domaine d’expertise, il me parait tout de même essentiel d’aborder celui-ci puisqu’il joue un rôle tout aussi indispensable dans la conception du produit.

Une fois que le prototype et les interfaces ont été testés puis validés par les utilisateurs finaux, le produit rentre en phase de développement.

Plusieurs sites internet mettent à disposition des tutoriels, outils et ressources visant à respecter les bonnes pratiques dans le développement de sites web ou d’applications permettant de répondre aux normes d’accessibilité.

Les documentations mettent l’accent sur l’importance du HTML sémantique, qui permet d’obtenir un code mieux structuré, plus compréhensible et plus aisé à rendre responsive. Le SEO se voit lui aussi amélioré puisque l’utilisation des balises sémantiques (qui utilise des mots clés) permet d’obtenir un meilleur référencement par les moteurs de recherche.

Pour aborder les bases sur l’accessibilité numérique dans le développement je vous redirige vers MDN Web Docs.

En conclusion

Après être rapidement revenus sur les différentes recommandations et critères d’accessibilité formulés par le W3C, nous avons essayé de mieux comprendre les enjeux que soulève l’appréhension de l’accessibilité au sein des équipes de conception.

L’accessibilité numérique ne doit pas être un simple attribut, mais une ligne conductrice et un paramètre essentiel de la recherche utilisateur jusqu’au développement du produit. Chaque domaine œuvrant pour la conception doit donc être (re) sensibiliser et accompagner, grâce à la formation par exemple.

Proposer des outils accessibles à tous est un enjeu social important qui rentre dans une démarche de conception plus inclusive, éthique et devient même une opportunité pour l’innovation.

Sources et liens