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Développement

Usages d’un système d’information fédéré en entreprise

Le succès de la campagne de financement de PeerTube m'a interrogé sur les avantages d'une solution décentralisée dans un contexte d'entreprise, là où au contraire on cherche à centraliser.
Gaël DEMETTE
21/12/2023 - 7 minutes

Résumé en trois points

  • La fédération de systèmes informatiques permet à votre société de garder une uniformité de fonctionnement, et une indépendance de services.
  • Il y a beaucoup à faire, peu d’existant, peu pensé pour l’entreprise.
  • Ça semble particulièrement adapté à un fonctionnement de système d’information orchestré.

L’aparté PeerTube

Hop hop, l’occasion de parler en quelques lignes de PeerTube, qu’on a choisi de soutenir récemment.
PeerTube est à Youtube ce que Mastodon est à Twitter : son petit frère décentralisé.
N’importe qui (du moins avec les connaissances requises) peut installer sur son serveur, un service PeerTube, pour y héberger et y lire des vidéos de manière décentralisée. C’est pratique, et ça évite la censure de Youtube. Cependant, ne pensez pas compenser la visibilité offerte par Youtube (et ses dépenses marketing), ou encore bénéficier des revenus de publicité… Du moins, pas aujourd’hui.

Le petit plus, c’est l’utilisation d’un système pair à pair lors de la lecture d’une vidéo. Avec ça, chaque utilisateur partage des fragments de vidéo avec d’autres utilisateurs. Le résultat ? Une économie de bande passante du serveur, en utilisant le débit descendant des connexions des utilisateurs. Potentiellement, on pourrait finir sa vidéo alors même que le serveur d’origine est hors ligne (avec plein de “si”, mais c’est potentiellement possible). En plus, si au sein de votre entreprise 10 personnes regardent la même vidéo, on évite de saturer le réseau externe !

Qu’est-ce qu’un système d’information fédéré ?

Un système d’information fédéré, comme Mastodon, Peertube, Diaspora, consiste en un principe de décentralisation simple : chaque serveur est responsable de ses données, quand il y a une interaction, qu’une donnée est créée, mise à jour ou supprimée, elle la diffuse auprès de ses serveurs abonnés. Quand un serveur cherche une information, il va consulter directement le serveur qui en est responsable pour la récupérer (pour garder intégrité et cohérence dans le cas où la source vient à être indisponible) avant de l’afficher.

Fédération et coopération

Un point de vue à développer serait la coopération interentreprise via des systèmes fédérés.
Il est complexe aujourd’hui de travailler seul, on a des partenaires, des fournisseurs, des clients, … Appelez cela comme vous voulez mais c’est ni plus ni moins que de la coopération, s’entraider pour aller plus loin ensemble.

Imaginez maintenant un système de gestion de commandes qui soit fédéré, pourquoi ne pourrions-nous pas vendre sur un système de e-commerce un pack avec des produits d’un site de e-commerce ami, ce sans pour autant avoir à mettre à jour les photos, en bénéficiant des commentaires et notes, etc… ?

Imaginez que la commande se diffuse sur le réseau fédéré pour envoyer les informations nécessaires au site partenaire pour qu’il expédie la commande ?

Ou encore, si le partenaire est un fournisseur, mon outil de gestion de production envoie les informations nécessaires sur les pièces dont j’ai besoin pour qu’il puisse anticiper ma commande. Pourquoi pas générer des appels d’offres auprès de plusieurs fournisseurs ?

Bref, vous savez ce qu’on réinvente là ? L’interopérabilité.

Interopérabilité

L’interopérabilité c’est la capacité qu’a mon logiciel à interagir avec d’autres logiciels, fonctionner ensemble. Cela nécessite d’avoir un protocole d’échange commun, c’est ce que fait ActivityPub, l’outil sur lequel se base PeerTube et Mastodon, il pose les bases des échanges entre deux instances fédérées.

L’interopérabilité c’est bien, ça vous assure que votre investissement logiciel n’est pas fait à perte, que si vous achetez une licence pour un produit et passez demain sur un autre, vous pouvez récupérer vos données et les utiliser dans ce nouveau logiciel, ça lutte contre l’obsolescence logicielle.

Fédération, responsabilités et internationalisation

La fédération c’est intéressant pour la notion de propriété et de contrôle. On construit un réseau plus ou moins vaste en liant des instances les unes aux autres. Chaque instance est propriétaire de son contenu et ne fait que “lire” le contenu des autres instances. Si on coupe l’accès à une instance, tout marche, on a juste divisé le réseau.

Chaque instance est donc responsable de son propre contenu, dans le cas où elle ne souhaite pas diffuser le contenu d’une autre instance, elle n’a qu’à l’exclure de son réseau. L’intérêt c’est que le modérateur d’une instance va filtrer/censurer son contenu en amont pour répondre aux besoins légaux, mais l’administrateur d’une instance liée peut également jouer sur une modération par influence : Si vous gardez tel contenu, je ne peux plus vous référencer.

Pour notre cas, sur de la diffusion de vidéo se pose toujours la question de la légalité. Un contenu licite aujourd’hui peut être illicite dans une autre région du globe, il ne faut pas oublier que la culture est différente suivant les pays, ce qui conditionne les lois. Les gouvernements peuvent changer, changer la législation, pouvoir lier/délier des instances à volonté peut être très pratique.

Pourquoi ne pas imaginer une “dark instance” sur un réseau alternatif dans le cas où l’on souhaite protéger son contenu tout en permettant sa diffusion ? (Le cas de la chimie est intéressant : dois-je enseigner la chimie quand elle peut permettre de fabriquer une bombe ? Notre position est non, mais on peut nous l’imposer légalement).

Fédération et entités

Au sein d’une grosse société, il y a régulièrement des fusions-acquisitions, des reventes d’entités. L’idée de fédérer les différentes entités de travail peut être intéressante.
Imaginez un système de support informatique fédéré, chaque entité ayant son propre support. On peut réassigner les tickets d’une entité à l’autre, tout le monde peut travailler ensemble.
Demain la société achète un nouveau service utilisant un système fédéré similaire, on ajoute l’instance dans la fédération, et hop c’est comme si elle avait toujours été là. On a accès à tout l’historique, on peut communiquer avec nos nouveaux collègues…
Hop, la société revend une activité. On n’a qu’à “couper” les ponts. Chacun part de son côté, les nouveaux tickets ne sont plus diffusés. Cependant, l’historique est conservé. On garde l’information sur ce qui a été fait.

Fédération et orchestration

L’ambition d’un système d’information décentralisé et fédéré au sein de l’entreprise pose fatalement la question des coûts de l’infrastructure.
C’est évident, aujourd’hui, lors d’un rachat, la stratégie de fusion/uniformisation du système d’information s’oppose à cette stratégie d’entité indépendante.

Là, des solutions technologies maintenant communes peuvent venir en aide aux administrateurs, je pense à la containérisation (via Docker ou autre), de manière générale à l’orchestration.

Via ces solutions, on découple infrastructure logicielle et matérielle, on peut ainsi déplacer facilement (presque) son infrastructure logicielle d’une plateforme à une autre. Lors de la fusion, on intègre l’infrastructure logicielle de la société achetée dans l’infrastructure matérielle. Dans le cas d’une séparation, on duplique l’infrastructure matérielle, pour y déplacer l’infrastructure logicielle.

Mot de la fin

Les exemples donnés sont des spéculations, de la supposition, bref tout cela reste à faire. L’idée peut néanmoins être séduisante, peut être même la solution au problème des “grosses boîtes”, la centralisation du pouvoir est souvent au détriment de l’utilisateur quant au respect de son individualité. Cependant, ça offre une usabilité bien plus forte. Le principe de fédération peut permettre d’offrir du contenu en joignant les efforts de plusieurs entités, permettant à terme d’égaler l’usabilité sans concentration du pouvoir. On peut imaginer un système de financement par rebonds, si j’achète un produit X en passant par la plateforme Y, la plateforme X rétrocommissionne la plateforme Y pour la remercier de sa visibilité.

Déclaration d’intérets

Nous n’avons d’intérêts dans aucun projet à but lucratif relatif à la fédération en date de parution de cet article.

Nous avons soutenu financièrement le projet libre PeerTube via Framasoft.

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